Un oncologue ouïghour a été alerté par le taux élevé de cancers chez les Ouïghours, dû aux essais nucléaires chinois d”il y a 20 ans
Le Dr Enver Tohti est un Ouïghour vivant à Londres et un chirurgien oncologue. Il y a 22 ans, il a décidé de participer à un documentaire britannique intitulé « Death on the Silk Road » (« La mort sur la route de la soie ») afin de dénoncer les effets néfastes des essais nucléaires chinois sur la santé des Ouïghours dans leur pays.
Photo : DVTV
Écrit par Anne Kader, traduit par Nawel Alaoui
Le Dr Enver Tohti est un Ouïghour vivant à Londres et un chirurgien oncologue. Il y a 22 ans, il a décidé de participer à un documentaire britannique intitulé « Death on the Silk Road » (« La mort sur la route de la soie ») afin de dénoncer les effets néfastes des essais nucléaires chinois sur la santé des Ouïghours dans leur pays.
Interviewer : Dr Tohti, qu”est-ce qui vous a poussé à dénoncer les effets des essais nucléaires effectués par la Chine en 1998 sur la terre des Ouïghours ?
Tohti : Tout a commencé par une simple plaisanterie de mon chirurgien en chef. Nous travaillions tous deux dans un hôpital public lié au Bureau des chemins de fer. Il a fait remarquer que, sur quarante lits d”hôpital, les patients chinois Han en occupaient trente, alors que vingt-cinq pour cent (10) des lits étaient réservés aux Ouïghours et aux Kazakhs. Il a laissé entendre que ces groupes ethniques semblaient être en mauvaise santé.
Moi qui jouissais d’un bon statut social en tant que chirurgien oncologue dans cet hôpital, son affirmation m”a énervé. J”avais toujours été fier de la vie nomade et vigoureuse que menaient les Ouïghours et les Kazakhs. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux étaient dynamiques et en bonne forme physique. Les remarques du chirurgien en chef m”ont alarmé.
Le Bureau des chemins de fer dont notre hôpital faisait partie comptait quelque 150 000 employés chinois et 5 000 travailleurs d”autres groupes ethniques. Le nombre d”employés chinois Han était trente fois supérieur au nombre d”employés d”autres groupes ethniques. Dix lits d”hôpital étaient réservés aux 5 000 Ouïghours et Kazakhs, tandis que 30 lits étaient destinés aux 150 000 Chinois Han. Le déséquilibre était alarmant.
Comme l”hôpital appartenait au Bureau des chemins de fer, il ne soignait que les cheminots et était fermé au grand public.
Si le chirurgien en chef n”avait pas fait cette blague, je n’aurais pas remarqué ce nombre anormal. « Pourquoi les autres groupes ethniques avaient-ils beaucoup plus de cas de cancer que les Chinois Han ? », me suis-je demandé. Mon cerveau restait focalisé sur ma découverte, ce qui m”a incité à commencer mon enquête.
Interviewer : Était-il de notoriété publique que la Chine effectuait des essais nucléaires dans votre région ?
Tohti : Oui, ces essais étaient de notoriété publique. Les médias chinois en parlaient régulièrement en disant : « Notre grand pays a testé avec succès une autre bombe nucléaire, l”Amérique impérialiste en sera terrorisée ».
Interviewer : Aviez-vous, en tant que chirurgien oncologue, prêté une quelconque attention aux effets de ces essais ?
Tohti : Du fait que ce n”était pas exactement mon domaine d”étude, le sujet n”a pas attiré mon attention outre mesure, je n”ai donc pas fait la relation à l”époque. C’est lorsque j”ai décidé de creuser davantage que j”ai commencé à m”alarmer. Je travaillais à l”hôpital central du Bureau des chemins de fer (il y avait quatre sections au Xinjiang) qui recevait des patients atteints de cancer provenant de différentes parties de la région autonome.
J”ai étudié plus de deux mille cas, hélas pas de manière très détaillée. J”ai recueilli des informations de base telles que l”endroit où les patients avaient travaillé, où ils vivaient et le diagnostic qu”ils avaient reçu. Mes recherches étaient limitées car j”y travaillais seul. Les résultats, cependant, étaient suffisants pour que je puisse conclure que quatre types de cancer étaient en tête de liste : la leucémie, le cancer du poumon, le lymphome malin et le cancer de la thyroïde.
Le point commun de ces quatre types de cancer est qu”ils sont souvent causés par les radiations. J”ai essayé de comprendre pourquoi ces quatre types de cancer étaient répandus chez de nombreux Ouïgours et Kazakhs. Je suis retourné à mes manuels de médecine et j”ai approfondi ma recherche sur ces différents types de cancer. Lorsque les radiations sont apparues comme une cause possible, j”ai immédiatement compris le lien. Nous savons tous que les explosions atomiques et nucléaires produisent des radiations.
J”étais terrifié par mes découvertes. Les médias chinois se sont vantés de la technologie nucléaire chinoise « d”avant-garde ». Ses bombes atomiques et nucléaires étaient censées ne pas nuire à l”environnement ni à la vie des gens. Comme j”avais été naïf de croire que les armes nucléaires ne feraient pas de mal aux civil !. Leur but est de tuer !
Interviewer : Ces essais nucléaires ont-ils eu lieu dans un endroit particulier ?
Tohti : Lorsque la Chine effectue des essais nucléaires, elle change généralement de lieu. Ils ne retournent jamais sur le même site d”essai, mais effectuent le test suivant à au moins une centaine de kilomètres du site précédent.
On dit que les officiels ont effectué des essais nucléaires dans la région de Lob Nor. En réalité, le site d”essai ne se trouvait pas au Lob Nor. À mon avis, le Lob Nor était une couverture, alors que le site réel se trouvait au lac Bosten, qui est très proche de la ville de Korla. Le site d”essai se situe entre le Lob Nor et Korla. L”emplacement est beaucoup plus proche des zones civiles que ce que le gouvernement avait prétendu auparavant. Il y a au moins dix ans, Google Earth affichait tous les sites d”essais nucléaires, y compris ceux autour du Lob Nor.
Photo : Google Earth
Interviewer : Comment êtes-vous entré en contact avec Channel 4 News, et quels étaient les risques de leur exposer vos découvertes ?
Tohti : Je me suis rendu en Turquie en décembre 1997, où j”ai rencontré le journaliste de Channel 4 en février 1998.
Six mois plus tard, je me suis rendu avec eux au Xinjiang.
Au départ, Channel 4 News voulait commencer le tournage du documentaire intitulé « Death on the Silk Road » en avril 1998. Ce documentaire traite des effets néfastes des essais nucléaires sur la santé. Les essais ont été effectués sur la terre des Ouïghours. La guerre du Golfe a soudainement éclaté en mars de la même année, et l”équipe a dû se déplacer dans une autre région pour traiter le sujet de la guerre. L”équipe a décidé de reporter le tournage après le conflit.
Je savais comment les autorités chinoises opéraient. Au cours des mois suivants, plein d”appréhension, j”avais du mal à dormir. J”étais inquiet des conséquences si je me faisais prendre. Le projet que j”étais sur le point de réaliser équivalait à une trahison, passible de la peine de mort en Chine. Cette tension m”affecte encore aujourd”hui. J”ai du mal à m’endormir dans le noir, je fais des cauchemars. Je rêve souvent de me faire attraper et emprisonner par la Chine. Je laisse parfois la télévision allumée dans le salon pour éloigner les rêves perturbateurs et je préfère dormir pendant la journée. Rien que cela a eu un effet dévastateur sur mon rythme quotidien au cours de ces vingt-quatre dernières années.
Ce qui est intéressant, c’est que j’étais calme pendant le tournage du documentaire. L’anxiété était présente dans ma vie avant le projet, et elle l’est aussi après celui-ci.
Interviewer : Votre foi chrétienne vous a-t-elle incité à dévoiler à la population locale les effets néfastes des essais nucléaires chinois sur la santé ?
Tohti : Je crois que oui. Si je suis témoin de quelque chose d”injuste, je dois le dire. Sinon, je serais coupable par association.
Interviewer : Vous êtes donc devenu vulnérable à d”éventuelles représailles de la part du gouvernement chinois. La Chine a-t-elle réagi après la diffusion du documentaire par Channel 4 News ?
Tohti : La Chine n”a pas réagi publiquement mais plutôt discrètement. Le documentaire a été diffusé au Royaume-Uni en octobre 1998, le jour même où le Premier ministre britannique de l”époque, Tony Blair, entamait une visite officielle en Chine.
Tohti a finalement quitté la Turquie pour le Royaume-Uni en février 1999, où il vit depuis.