Génocide ouïghour : que répondre aux négationnistes ?

Retour sur le débat entre l’eurodéputée française Marie-Pierre Vedrenne et la journaliste chinoise Camille Chen

Plateau de France24 – émission : Ici l’Europe, le 21 octobre 2022

Marie-Pierre Vedrenne au Parlement européen à Strasbourg

Source : Multimedia Centre Parlement européen

Écrit par Nawel Alaoui

L’Europe est dépendante de la Chine au niveau économique et industriel

Le vendredi 21 octobre 2022, France 24 a accueilli sur son plateau télé deux invitées : madame Camille Chen, journaliste chinoise, rédactrice en chef du service français de mandarin TV et madame Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée française Renew et vice-présidente de la commission du commerce international.

Les journalistes de France24, Marie Brémeau et Caroline de Camaret, présentent les faits : la dépendance économique et industrielle de l”Europe vis-à-vis de la Chine est bien présente. La crise du Covid-19 l’a d’ailleurs mise davantage en évidence : l’Europe a subi une pénurie de matériel médical et de médicaments durant la pandémie, et subit encore jusqu’à maintenant une crise d’approvisionnements de semi-conducteurs. En 2022, ce déficit commercial a atteint 92 milliards d’euros qui reviennent directement à Pékin.

Une situation économique bien compliquée quand on considère le fait que Xi Jinping, qui a fêté le même mois les 10 ans de son accession à la tête du parti communiste chinois, n’est pas considéré comme un partenaire fiable par l’Europe – et à juste titre – notamment parce que comme mentionné par les deux journalistes de France 24, son attitude est plus qu’ambigüe face à l’Ukraine, la Chine voulant obtenir des liens privilégiés avec la Russie.

La situation est tendue, voire houleuse, avec les 27 États membres de l’Union européenne qui veulent retrouver une souveraineté économique et stratégique alors que Pékin cherche à les diviser en leur proposant des liens économiques particuliers à travers le projet de la nouvelle route de la soie. 

Rappelons que ce projet dit « de la nouvelle route de la soie » est en lien direct avec le génocide des Ouïghours. Il fait partie des raisons stratégiques pour lesquelles la Chine a décidé d’éradiquer les Ouïghours. Le Xinjiang représentant une ouverture vers l’Occident et étant le point central de la nouvelle route de la soie,  la Chine veut y installer un peuple tout à fait homogène qui n’a rien à dire. Ainsi, à travers ce projet, elle pourrait lier la moitié des pays du monde à elle qui lui seraient dépendants économiquement. Pour en savoir plus sur le projet de la nouvelle route de la soie lié au génocide des Ouïghours, veuillez consulter l’interview d’Asgar Can, le président de la communauté ouïghoure en Europe.

Le gouvernement chinois et le négationnisme : une histoire d’amour que la raison ignore, mais surtout qui ignore la raison

Sans grande surprise, le débat fût l’occasion pour l’invitée Camille Chen de présenter les plus belles théories propagandistes du gouvernement chinois, allant jusqu’à nier le plus grand génocide du XXIème siècle, au grand désarroi de la députée européene Marie-Pierre Vedrenne, qui indignée par tant de mauvaise foi, a pourtant su garder son sang froid.

Nous revenons sur les propos les plus douteux, voire honteux, qui ont été prononcés au cours du débat par l”interlocutrice chinoise  de l’eurodéputée Marie-Pierre Vedrenne. 

#1 « La fermeture des frontières correspond à la nécessité du gouvernement chinois de protéger sa population contre le COVID-19 qui ne cesse de ressurgir. C’est pour des raisons tout à fait sanitaires. »

Parce qu’une image parle bien plus que des mots, voici quelques photos prises de vidéos, publiées par des Ouïghours désespérés et appelant à un allègement de la politique « zéro-Covid » de la Chine en pays ouïghour. Nous doutons qu’un état ayant pour priorité de protéger sa population décide de les enfermer chez eux sans nourriture afin que ces derniers, privés de nourriture, meurent littéralement de faim à leur domicile ou décident de se suicider en sautant par la fenêtre, ne pouvant plus supporter cette situation.

#2 « Quelle ambiguïté ? La Chine a toujours clarifié sa position sur la question du conflit militaire russo-ukrainien […]. Votre attitude ressemble un peu à celle de journalistes américains, et du gouvernement américain, on va dire globalement de la position de l’OTAN ».

La question de la journaliste de France 24 était pourtant très claire : « La Chine est-elle du côté de la Russie ou de l’Ukraine ? » L’Union européenne attend une clarification de la position chinoise et une condamnation de la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, c’est davantage la position de la Chine vis-à-vis de la Russie qui crée des tensions entre l’UE et la Chine. En somme, la réponse de madame Chen est fidèle à la position de la Chine, cette dernière refusant de condamner la Russie pour condamner avant tout l’OTAN et les États-Unis comme étant les premiers responsables de l’invasion russe de l’Ukraine.

#3 « On ne s’ingère pas dans les affaires intérieures de la Chine. » 

Sauf qu’il ne s’agit pas que des affaires intérieures de la Chine, mais d’affaires qui regardent directement l’Europe. En effet, la Russie et la Chine appellent à l’avènement d’un nouvel ordre mondial post-occidental. Les deux pays partagent un ressentiment profond vis-à-vis de l’OTAN, des États-Unis et de leurs alliés – un ressentiment que l’on entend clairement dans la réponse de Camille Chen, parlant avec dédain de l”« attitude »  des journalistes qu’elle compare à des journalistes américaines. 

La Chine a augmenté ses importations d’hydrocarbure en provenance de la Russie, le premier fournisseur de pétrole de la Chine depuis juin 2022. En outre, la Chine continue de soutenir diplomatiquement la présence de la Russie au G-20. Entre Pékin et Moscou, il y a bien plus de points d”accords que de désaccords – l’Europe est donc directement concernée.

À ces propos, madame la députée européenne Marie-Pierre Vedrenne répond que les questions que posent les journalistes de France 24 ne sont pas des questions posées par des journalistes américain.e.s, non.

« Ce sont des questions que, légitimement en tant qu”Européen.n.e.s, nous avons le droit de vous adresser. […] Vladimir Poutine a violé le droit international, nous, l’Union européenne, ce qu’on demande et ce que l’on promeut, c’est le respect des règles du droit international et on voit que sur ces questions, que ce soit sur la diplomatie, la politique étrangère ou sur des questions économiques, la Chine, malheureusement, ne respecte pas les règles du jeu. […] On veut une Chine engagée qui respecte les règles sur l”ensemble des questions. »

Quant au fait de vouloir bannir les produits importés issus du travail forcé et des droits de l’homme bafoués des Ouïghours, il ne s’agit pas non plus de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine, comme le dit Marie-Pierre Vedrenne, « il s’agit de la protection de notre marché intérieur. […] Nous avons un marché intérieur sur lequel nous avons la légitimité et le droit de protection des citoyens européens de dire que des produits issus du travail forcés n’ont pas à rentrer sur notre marché. »

Réponse à laquelle, nous aimerions ajouter, à la rédaction de ouighour.com, qu’aucun état n’est au-dessus des droits de l’homme et de la liberté, qui sont des valeurs universelles.

#4 Camille Chen : « Je pense que la question des Ouïghours, si je peux vous donner mon point de vue, c’est une question qui a été montée de toutes pièces. C’est une question qui a été fabriquée. » 

Marie-Pierre Vedrenne : « C’est votre opinion mais il y a quand même beaucoup d’études qui démontrent la réalité des faits. »

 Camille Chen : « C’est mon opinion. Vous avez vos études mais j’ai aussi mes études. » 

Chère Camille Chen, nier le plus grand génocide du XXIème siècle, ce n’est pas une opinion, c’est une honte. Donc en attendant que vous nous livriez vos études, que nous attendrons sûrement encore longtemps, voici les études crédibles dont parle l”eurodéputée française Marie-Pierre Vedrenne :

1) China Cables : enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation. 59 médias internationaux y ont participé, dont : BBC, Guardian, Süddeutsche Zeitung, El Pais, Le Monde. Parmi ces 59 médias, pas moins de 250 journalistes à travers le globe. Publiés le 24 novembre 2019, les China Cables révèlent l”existence des camps d”internement chinois au Xinjiang. Dès février 2018, Adrian Zenz, anthropologue allemand, a été l’un des premiers à relever les preuves de l’internement de masse des Ouïghours dans ces camps.

2) Xinjiang Police Files : dossiers contenant des milliers de photos et de documents provenant du Xinjiang, ainsi que des détails sur l”internement de plus de 20 000 Ouïghours. Les milliers de documents analysés, les photos, les transcriptions de discours de hauts responsables du parti communiste chinois, les ordres officiels, le matériel de torture listé, ont montré l”ampleur de la persécution et des détentions massives au Xinjiang.

3) Rapport de l’ONU par la Haute-Commissaire aux Nations-Unies, Madame Michelle Bachelet, publiés le 31 août 2022 et attestant des crimes contre l’humanité commis par la Chine. Ici le texte traduit de l’anglais : « L”ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire de membres des groupes ouïghours et d”autres groupes à prédominance musulmane […] pourrait constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l”humanité. »